Georges Braque (1882-1963)- Pichet, pipe, tabac 1928

Huile sur toile
Signé et daté en bas à droite
27 x 41 cm

Historique : Collection Roger Dutilleul, conservé dans la famille depuis lors.
Certificat d'exportation pour un bien culturel n°180004, délivré le 21.11.2016.

À partir de 1919, l'oeuvre de Braque est essentiellement faite de natures mortes (il est à noter que c'est exactement en 1928, date de notre tableau, que Braque revient au paysage, achevant ainsi un cycle avec l'accomplissement d'oeuvres du meilleur effet). Les natures mortes sont alors composées d'objets usuels aux formes simples s'accordant parfaitement aux recherches plastiques de l'artiste, le tout sur des entablements, coins de meubles ou cheminées.

Du cubisme, précédemment exploré jusqu'aux confins, (la nature morte cubiste était un prétexte pour désarticuler les éléments de la composition afin de les assembler dans un jeu complexe de plans et facettes.) et ceci en liaison étroite avec Picasso, restent : la composition dense, l'espace intellectualisé (non réel), les aplats, les couleurs proches du noir et du brun, la verticalité du plan du tableau , les différents points de vue simultanés des objets représentés (de face, d'en haut, d'en bas et sur le côté), la schématisation de la représentation de ces objets. Cependant, jusqu'en 1928, les lignes deviendront sinueuses et Braque réussit alors l'alchimie qui équilibre schéma mental et sensibilité.

Notre nature morte est à elle-seule un résumé didactique de l'art de Braque à cette époque : Tout d'abord par son sujet, la nature morte, qui plus est nature morte au pichet, tabac et pipe, objets de premier choix. En ce sens, ce thème, si important pour Braque, est significatif d'un positionnement de l'artiste, non pas tourné vers la recherche de la nouveauté pour la nouveauté, mais bien vers l'inaccessible épuisement dans l'approfondissement. Ensuite, par l'héritage du cubisme dont ici l'artiste fait montre : D'une part, dans la simplification des représentations d'objets, aux différents points de vue. Notez ainsi le pichet de face mais dont on voit en même temps le col d'en haut. D'autre part, dans le resserrement des objets au sein d'une composition dense déclinant les plans successifs de celle-ci en évitant volontairement les lignes de perspective classique. De même par l'absence de lumière atmosphérique : un éclairage frontal sans effet d'ambiance. Ensuite dans la gamme chromatique réduite aux bruns, noirs, blancs, gris bleutés et ivoire, dont la richesse ne se situe pas dans la variété mais bien dans la qualité des rapports de tons subtils. La magie s'opère : une grande transparence s'impose sur des coloris aux accents de terre, dont la matière elle-même se suffit en l'absence de tout vernis. Et puis, si importante, l'utilisation du faux-marbre, technique apprise dans l'entreprise de plâtrerie-peinture familiale que Braque avait fait découvrir à Picasso dès 1912. Au-delà du trompe-l'oeil, le faux-marbre transcende les apparences pour figurer un nouvel espace.

En y regardant de plus près, la composition est plus complexe qu'il n'y paraît au premier regard. Pour donner l'impression d'espace et de volume sans pour autant tomber dans les méthodes conventionnelles de la peinture classique, Braque intervient par petites notes : tout d'abord, cette ombre portée contre le mur du fond, à peine présente et qui pourtant à elle seule crée la notion d'espace dans le tableau. Ensuite, l'opposition de traitement de la touche entre le faux-marbre et le reste du tableau en aplats, qui a pour effet de faire venir à nous, regardeur, le premier plan. Ceci en préservant la continuité spatiale dans une fusion synthétique.

Enfin, l'influence toute nouvelle de l'Antiquité grecque dont ne se départira plus l'artiste : préambule de l'intérêt de l'artiste pour la Grèce archaïque, dont l'apothéose sera la série des Canéphores, il incise par un filet blanc les contours de la poterie noire. Les années suivantes, ce filet blanc sous forme d'arabesque s'émancipera du contour des poteries devenant une ligne instinctive et primitive.